Les jeunes filles d’Owié : chant kanak

Est-ce la mer qui descend de la montagne ? La fleur de niaoulis que roule le vent ? Ce sont  les plumes dont les filles d’Owié couronnent leurs cheveux, toutes blanches dans le soleil. Et sous les plumes elles sont plus noires que la nuit, les filles d’Owié.

Sur la pente de la montagne elles répondront à la chanson de pêche. Les hommes sont sur la mer. La mer est toute couverte de pirogues, on dirait des poissons qui battent l’eau, des oiseaux qui frappent l’air. Le grand poisson aux écailles rayées bondit à fleur d’eau. Voilà le serpent d’eau aux anneaux bleus et blancs. Le poisson d’épines tout gonflé se détache en noir entre les rochers  où s’enfonce la mer. La mer fleurit pour les tribus, il n’y a plus qu’à lancer la sagaie, à courir dans la pirogue avec les flots. Et pourtant souvent la mer ne donne pas, les tribus ont faim.

Sur le rivage elles chantent les filles d’Owié, elles chantent en frappant les bambous ou en grattant les branches de cocotiers. Elles sont grandes, elles sont fortes et ne se plaignent pas sous le fardeau.

Le soleil s’en va derrière la montagne, la mer écume sur les rochers, elle y monte avec des griffes toutes blanches, la tempête approche. Voguez, voguez, pirogues, que le poisson vienne dans les filets. Frappez, sagaies, et que de longtemps les tribus n’aient plus faim, afin qu’elles vivent en paix. Les filles d’Owié sont braves, mais elles aiment mieux voir gronder les flots que voir le sang de leurs amis.

Extrait de : Légendes et chants de gestes kanak, par Louise Michel, ed. 1900, pp. 69-70