Cosmogonie wogoule[1] recueillie par M. Paul Hunfalvy.
En haut, il n’y avait que Numi-Târom, le Dieu unique, le Seigneur du ciel, et en bas la mer ; dans un berceau d’argent, suspendu au-dessus de l’abîme, par une chaine de fer, un époux et une épouse n’appartenant point à l’humanité. Numi-Târom a déchaîné les vents qui soulèvent les flots de la mer et se jouent du berceau livré à leurs caprices ; aussi l’un des deux êtres non humains demande-t-il au père céleste de créer, pour ses enfants, un morceau de terre susceptible de porter une maison. Numi-Târom se rend à ce vœu.
Les hôtes du berceau prennent possession de leur demeure céleste et y font un séjour assz prolongé pour que la vieillesse commence à s’appesantir sur leurs têtes. Lasse d’être ainsi recluse, l’épouse sort de la maison, et après une absence assez longue pour causer l’inquiétude à son mari, elle rentre en annonçant qu’elle porte dans son sein un fils de l’air. Elle donne le jour à Elempi, et l’époux célèbre la naissance de l’enfant par ce cri d’allégresse : Dieu, mon père, m’a donné un fils ; Dieu mon père, nous a gratifiés d’un fils !
Elempi croît à vue d’œil. Il devient bientôt un chasseur consommé et un pêcheur habile. Puis son intelligence se développant, il se préoccupe de l’avenir, et annonce à ses parents qu’il songe à aller consulter Numi-Târom.
Elempi prend la forme d’un écureuil ; il gravit non sans fatigue, les degrés de l’escalier qui conduit à la demeure de Numi-Târom et se jette aux pieds du dieu. Celui-ci s’informe avec bienveillance du motif de sa venue. Elempi répond que l’objet de sa démarche est le sort de l’homme qui ne pourra vivre sur l’eau de la mer crée par Numi-Târom. Comment s’y prendre pour former une terre ferme ?
Avant de répondre, le dieu s’assure de la cuissond’un poisson qui est sur le feu. Il relève ensuite la tête et donne à Elempi une peau de canard et une peau d’oie, en lui disant de descendre sur le bord de la mer et de faire surgir lui-même la terre sainte destinée aux homme.
ELempi revêt la peau de canard, plonge sous les flots et cherche, par trois fois, à atteindre le fond de la mer. Trois fois, il est ramené à la surface.
Il revêt alors la peau d’oie, et grâce à vertu de ce talisman, il parvient à détacher du fond de la mer trois poignée de terre qui se transforment en fleuves, lacs, montagnes et prairies.
La demeure de l’homme est prête, mais elle flotte sur les eaux. Elempi comprend qu’il faut la fixer, il reprend le chemin qui conduit à la maison de Numi-Târom, rend compte au dieu de l’état ou se trouve la terre et lui demande comment il pourra la rendre immobile. Numi-Târom remet à Elempi une ceinture à clous d’argent, représentant la chaîne des monts Ourals : le démiurge passe ce talisman autour de la terre, et aussitôt celle-ci cesse de flotter.
La création se poursuit de la sorte, par la puissance de Numi-Târom, mais toujours sur la prière d’Elempi. Le démiurge pose le problème et le dieu le résout.
A la création de la terre ferme succède immédiatement celle des hommes, des quadrupèdes et des oiseaux. Elempi fabrique ces trois sortes d’êtres avec un même mélange de terre et de neige. A peine sortis des mains de leur auteur, les hommes rient et folâtrent, mais ils n’ont rien à manger. Elempi monte vers Numi-Târom et reçoit de lui trois couples de poissons avec lesquels il peuple les fleuves, les rivières et les lacs. D’autre part, les bois sont remplis d’animaux sauvages et les oiseaux se sont multipliés dans les airs. Cependant Elempi demeure soucieux ; il se demande comment les hommes parviendront à s’emparer des animaux dont la chair est nécessaire à leur subsistance ! Numi-Târom résout ce problème en indiquant au démiurge la manière de fabriquer l’arc, les flèches, les différents filets de chasse, ainsi que les vêtement de peau.
Vient ensuite l’institution du mariage, grâce à laquelle les hommes se multiplient au point de couvrir toute la terre. La vie menace de s’arrêter par l’effet même de son exubérance. Elempi s’adresse de nouveau à Numi-Târom, et le dieu lui répond : emmène avec toi Kully-Ater ; il sera l’artisan de la souffrance et des maladies : une partie du peuple mourra et l’autre sera sauvée.
Ce texte est paru dans
- Lucien Adam, Une genèse Wogoule dans la « Revue de Philologie et d’ethnographie ; T1 P 10 Paris 1874
[1] Peuple résidant sur les versants de l’Oural ( Russie) appartenant au groupe finnois. Les Mansis, littéralement Les gens en mansi, désignés par le passé sous l’exonyme de Vogoules ou Vogouls que leur donnent les Khantys, sont un peuple vivant autour de l’Ob dans le district autonome des Khantys-Mansis, au sein de l’oblast de Tioumen en Russie.