Mythologie. Cosmogonie algonquine

Cosmogonie Algonquine

Les Algonquins savent que tout n’était qu’eau avant que la terre fût créée, et que sur cette vaste étendue d’eau flottait un grand cajeu (radeau) de bois, sur lequel étaient tous les animaux de différentes espèces qui sont sur terre, dont le Grand Lièvre, disent-ils, était le chef. Il cherchait un lieu propre et solide pour débarquer, mais comme il ne se présentait à la vue que cignes et autres oiseaux de rivières sur l’eau, il commençait déjà à perdre espérance, et on ne voyait plus d’autre ressource que d’engager le castor à plonger, pour apporter un peu de terre du fond de l’eau, l’assurant au nom de tous les animaux que, s’il en revenait avec un grain de sable seulement, il en produirait  une terre asses spacieuse pour les contenir et les nourrir tous. Mais le castor tâchait  de s’n dispenser, alléguant pour raison qu’il avait déjà  plongé aux environs du cajeu sans apparence d’y trouver fonds. Il fût cependant pressé avec tant d’instance de tenter derechef cette haute entreprise, qu’il s’y hasarda et plongea.  Il resta si longtemps sans revenir que les suppliants le crurent noyé, mais on le vit enfin paraître, presque mort et sans mouvement. Alors tous les autres animaux, voyant qu’il était hors d’état de monter sur le cajeu, s’intéressèrent aussitôt à le retirer, et après lui avoir bien visité les pattes et la queue, ils n’y trouèrent rien.

Le peu d’espérance qui leur restait de pouvoir vivre les contraignit à s’adresser au loutre, de le prier de faire  une seconde tentative, pour aller quérir un peu de terre au fond de l’eau. Ils lui représentèrent qu’il y allait également de son salut, comme du leur. Le loutre se rendit à leur juste remontrance et plongea. Il resta au fond de l’eau plus  longtemps que le castor et revint, comme lui, avec aussi peu de fruit.

L’impossibilité de trouver une demeure où ils pussent subsister ne leur laissait rien à espérer, quand le rat musqué proposa qu’il allait, si l’on voulait, tâcher de trouver fonds, et qu’il se flattait même d’en apporter du sable. On ne comptait guère sur son entreprise, le castor et le loutre bien plus vigoureux que lui, n’en ayant pu avoir. Ils l’encouragèrent cependant, et lui promirent qu’il serait le souverain de toute la terre, s’il venait à bout d’accomplir son projet. Le rat musqué, donc se jeta à l’eau et plongea hardiment. Après avoir resté près de vingt-quatre heures, il parut au bord du cajeu, le ventre haut, sans mouvement, et les quatre pattes fermées. Les autres animaux le reçurent et le retirèrent soigneusement.  On lui ouvrit une des pattes, puis la seconde, puis la troisième, et la quatrième, enfin, où il y avait un petit grain de sable entre ses griffes.

Le Grand-Lièvre, qui s’était flatté de former une terre vaste et spacieuse, prit ce grain de sable et le laissa tomber sur le cajeu, qui devint plus gros. Il en reprit une partie et le dispersa. Cela fit grossir la masse de plus en plus. Quand elle fut de la grosseur d’une montagne, il voulut en faire le tour. Aussitôt qu’elle lui parut assez grande, il donna ordre au renard de visiter son ouvrage, avec pouvoir de l’agrandir. Le renard ayant connu qu’elle était d’une grandeur suffisante pour avoir facilement sa proie retourna vers le Grand-Lièvre pour l’informer  que la terre était capable de nourrir et contenir tous les animaux. Sur son rapport  le Grand-Lièvre se transporta sur son ouvrage, en fil le tour et le trouva imparfait. Il n’a voulu depuis se confier à aucun de tous les autres animaux, continuant à l’augmenter, en tournant sans cesse autour de la terre. C’est ainsi, au dire des Algonquins, quand ils entendent du retentissement dans les cavités des montagnes, que Grand-Lièvre continue à l’agrandir. Ils l’honorent et le considèrent comme le dieu qui l’a créé. Voilà ce que ce peuple nous apprend sur la création du monde qu’ils croient toujours porté sur un cajeu. A l’égard de la mer et du firmament ils affirment qu’ils ont été là de tout temps.

 

 

 

Source : In, Nicolas Perrot. Mémoire sur les mœurs, coutumes et religion des sauvages de l’Amérique septentrionale. Publié par le Révérant-Père Tailhan Leipzig et Paris 1864