La littérature orale : bien plus qu’un outil de soin
La littérature orale, expression narrative humaine des plus anciennes, a traversé le temps sans s’en laisser raconter par sa jeune sœur de papier, l’écriture, en restant le témoin
privilégié de la culture populaire et du monde rural. Les classes supérieures ont bien tenté de la ramener à la littérature savante, mais sans se prêter à ce jeu, elle a su
garder sa spécificité. La littérature orale c’est le conte, la légende.
Riche d’une langue symbolique efficace, la littérature orale permet d’apporter dans certaines pathologies, des outils pertinents. Les études du CMLO sur le sujet ont présenté
les façons dont les grandes écoles psychanalytiques ont envisagé la littérature orale tout au long de leurs histoires. Puis, à partir de cas concrets, ont éclairci les diverses formes
que prennent les thérapies impliquant la littérature orale et ont contribué aux recherches actuellement en cours utilisant cette forme comme moteur de la thérapie.
La littérature orale est utilisée de plus en plus fréquemment dans des cadres thérapeutiques. Les conteurs ne sont pas des thérapeutes mais peuvent participer activement au sein d’équipes de thérapeutes. Des projets se mettent en place dans le cadre de « culture à l’hôpital », dans le contexte d’une lutte contre la maladie d’Alzheimer, et depuis longtemps les contes interviennent pour améliorer les conditions de nombreuse pathologies psychiques. Comment la littérature orale peut s’avérer efficace dans certaines thérapies ? Quels sont les expériences dans lesquelles les conteurs ont pu intervenir efficacement ?
Comment la littérature orale, le conte et le mythe plus spécialement, peuvent-être un formidable outil thérapeutique ?
Une des premières vertus du conte tient au fait que, sous une forme merveilleuse, il traite des questions fondamentales de l’homme.
Il s’adresse à nous tous, au groupe comme à l’individu, et bien sûr à l’enfant. Il intervient d’ailleurs de plus en plus dans différentes formes de thérapie. Son langage a la familiarité du récit oral. Il est fait pour être dit et non pas afin d’être lu. Il conserve et transmet l’expérience humaine : il nous parle de la naissance et de la mort, de l’homme et des femmes, de la richesse et de la pauvreté, de l’envie et de la rivalité, de l’apprentissage de la vie, du mystère des origines…
Catherine Picard, dans un formidable article sur le sujet, pointe aux éléments qui permettent de appréheder le conte dans sa dimensions thérapeutique.
Mais « le conte dit sans dire », comme l’écrit Winnicott. En simplifiant les situations, il permet un certains accès aux processus primaires inconscients. Les images qu’il réveille « ouvrent une voie non catastrophique au retour du refoulé. (…) Le conte participe à cet abaissement du seuil défensif en abordant le symptôme par le détour du récit ». Il offre à l’enfant de retrouver des situations émotionnelles proches des siennes, mais sur un autre objet que lui. Le conte est donc, en lui-même, un médiateur de la vie psychique. « Le conte est la représentation et le récit de formations et de processus de la réalité psychique : son matériau est le rêve, le fantasme, le roman familial, la représentation des mécanismes de défense psychotiques et névrotiques, les conflits liés à l’évènement de la différence des sexes, au passage rituel et sanglant de la naissance, de l’enfance à l’âge adulte, à la mort des parents et des enfants ». Cette phrase de R. Kaès récapitule une bonne partie des pistes qui font l’intérêt du conte comme révélateur et médiateur de la vie psychique (Picard 2002, par. 3).
Le conte ne se borne pas à nous transporte dans l’imaginaire. C’est un médiateur de la vie psychique qui permet une remise en route du plaisir de penser, d’imaginer. Compromis entre le rêve et la réalité, il aide à l’établissement d’un espace transitionnel (Winnicot 1975) où se re joignent le plaisir de celui qui conte et le plaisir de celui qui écoute.
En s’inspirant toujours aux travaux de Picard, on peut rappeler que :
Les vertus thérapeutiques du conte de fées viennent de ce que le patient trouve ses propres solutions, nous enseigne Bettelheim, et ce « en méditant ce que l’histoire donne à entendre sur lui-même et sur ses conflits internes à un moment précis de sa vie » (op. cit. par 10)
« L’effet thérapeutique est dans la reconstruction dans l’imagination et non dans la transposition. Il n’est pas nécessaire de pointer à l’enfant la ressemblance, il faut peut-être au contraire endormir les défenses pour permettre fois après fois, que les choses agissent dans l’ombre sans mettre la vérité en lumière » c’est d’abord en effet par la distance qu’il prend par rapport à la réalité quotidienne que le conte permet d’entendre ce qui sinon, reste dans l’ombre (Klein 1991, p. 9, cité in op.cit. par 10).
Des fonctions importantes : de la fonction contenante…
De par sa structure, dans l’interprétation que Picard fait de Bion, le conte a parmi ses fonctions, une fonction « contenante »
il « véhicule un réservoir, une matrice contenante, c’est-à-dire une authentique fonction A qui tamise la violence (…). Le conte transforme les éléments destructeurs B en traces organisatrices A et fonctionne comme un appareil à penser les pensées. Le conte transforme des affects non pensés parce que destructeurs, en représentations tolérables, figurables. » (op. cit; par 11).
Le conte est un conteneur de la possibilité de penser, une enveloppe psychique, au sens ou l’entend D. Anzieu. « Bien choisi, avec ses rituels d’ouverture et de fermeture, le travail de la position de l’enfant et du conteur dans la relation auditeur/conteur, le pacte narratif (…) est un admirable outil pour la fonction contenante du soignant ».
Dans le cadre d’un atelier « contes », la fonction contenante de la situation groupale intervient également : « Le conte va fonctionner comme une sorte de récit d’un rêve commun ; chacun va en développer certaines lignes associatives, et le groupe va y trouver un premier récit unificateur ». Le groupe permet aux enfants de faire l’expérience de penser avec d’autres et de partager quelque chose à travers leur implication commune dans l’histoire et les particularités de l’implication de chacun. « Le pouvoir des contes ne peut se concevoir que partagé. Les enfants entre eux sont complices », conclut G. Jean (op. cit; par 12-13)
Histoire du conte et de la thérapie : une vision orientée par les recherches du CMLO
Dans l’œuvre « Les contes au coeur de la thérapie infirmière: Psychiatrie et conte thérapeutique », Solange Longefeld Serranelli, retrace les étapes de l’utilisation des contes en thérapie :
C’est dans le courant du XX° siècle que des psychothérapeutes se sont intéressés aux contes. Bruno Bettelheim, psychiatre analyste américain, a étudié l’effet bénéfique qu’avaient les contes de fées légués par nos ancêtres (Grimm, Perault, etc.) sur les enfants. Il a analysé l’impact de ces contes sur leur structuration psychique et a mis en évidence ceci : ceux à qui l’on avait raconté des contes durant leur croissance avaient plus de ressources pour se débrouiller dans la vie. Il explique encore que « l’enfant trouve sous une forme symbolique des suggestions sur la manière de traiter ses problèmes, de vivre ses ambivalences et sur comment s’acheminer en sécurité vers sa maturité » (Bettelheim 1976, Serranelli 2008, p. 7).
Les travaux de Milton Erickson, psychiatre américain, s’orientèrent sur une autre utilisation du conte : il créa des histoire personnalisées centrées sur la problématique spécifique d’une personne et les utilisa pour des adultes. Erickson avait pour caractéristique de raconter sans cesse des anecdotes à ses clients pour les aider à dépasser leurs problèmes. Il a mis en évidence que, souvent, raconter une histoire imagée présentant une analogie avec le problème d’une personne l’aidait beaucoup plus efficacement que de longs discours faisant appel à sa raison. Ses travaux furent à l’origine du développement et de la popularisation du conte en tant que technique thérapeutique pour les adultes. Erickson fut le créateur de ce que l’on appela alors métaphore ou allégorie thérapeutique. (Serranelli 2008, ibidem).
Le conte allégorique est celui qui cible le problème particulier d’une personne (Salomé 1993, Debailleul 2010). L’histoire qu’il développe présente une similitude très précise avec la problématique vécue. Il décrit la difficulté dans laquelle la personne se trouve et lui apporte des possibilités de solution sous une forme symbolique. Le langage symbolique est la langue de l’inconscient. Erickson expliquait que l’inconscient est le lieu où la personne peut trouver des solutions à ses problèmes. La difficulté est qu’elle n’u a pas accès directement à cause de ses résistances au changement ou de ses mécanismes de défense.
Exemple. Une personne qui vit un deuil important, le plus souvent, la première phase du deuil qui se met en place chez elle est le déni. On la voit alors se comporter comme si la perte n’avait pas eu lieu, elle semble insensible. En fait, la perte est tellement insupportable que ce déni de la réalité est pour elle une forme d’auto-protection : elle a besoin de temps pour « encaisser » le coup. Ce n’est que plus tard que viendront la prise de conscience de cette perte, les larmes, la colère, etc. Le deuil poursuivra alors son cours. Toutefois, il arrive que des personnes restent « coincés » dans le déni et ce qui était un mécanisme de défense peut devenir ainsi leur prison.
C’est comme si ces personnes parcouraient un chemin et se trouvaient soudain face à un danger (ressentir des émotions intolérables liées à la perte d’un être cher). Un réflexe d’autoprotection les pousse alors à courir se mettre à l’abri dans une cabane (le déni) située au bord du chemin. Le problème c’est qu’une fois à l’intérieur, il est possible qu’elles s’y retrouvent enfermées, incapable d’en sortir. Dans ce cas précis, le conte peut être une aide précieuse : il peut jouer le rôle de la clé que l’on va tendre à la personne par la fenêtre, clé qui va lui permettre de mettre en œuvre les moyens de sortir et de reprendre son chemin de vie. Le conte thérapeutique est en fait un facilitateur. Il aide la personne qui le désire à se laisser conduire intérieurement vers une solution à son problème. Il capte son imaginaire, l’entraînant au cœur de son conflit inconscient, et lui ouvrant la perspective d’une issue.
En fait le conte favorise l’entrée dans une dynamique de régression : la personne fait un retour dans son passé, contactant ses émotions douloureuses refoulées. Le conte passe ainsi la barrière de la pensée rationnelle avec tous ses systèmes de défense, pour aller toucher directement le lieu où peuvent être contactées les ressources. Ces dernières vont alors pouvoir accéder au conscient. Le conte joue donc le rôle d’un pont qui permet de passer de l’inconscient au conscient. Par son aspect symbolique, il va aider la personne à créer du lien à l’intérieur d’elle-même.
Source :
Les bienfaits du conte thérapeutique
Les récits de littérature orale proposent des synthèses des archétypes humains et, dans certains genres, des cartographies de nos inconscients. Riche d’une langue symbolique efficace, la littérature orale permet d’apporter, dans certaines pathologies, des outils pertinents.
Selon les travaux de Solenge Langenfeld Serranelli, le recours au conte dans la pratique thérapeutique peut développer plusieurs bienfaits.
Voici une présentation des principaux avantages de l’utilisation thérapeutique des contes selon la spécialiste :
Rétablir la circulation émotionnelle en douceur
De nombreux problèmes psychiques sont engendrés par une incapacité à gérer certaines émotions : la culpabilité ou la colère, par exemple. Ces émotions sont jugées inacceptables et sont refoulées. Dans ce cas, le conte peut être un moyen d’aider à rétablit la circulation émotionnelle bloquée. En fait, il favorise l’entrée dans une dynamique de régression : la personne fait un retour dans son passé et contacte ses émotions douloureuses refoulées. Le bouleversement intérieur provoqué par l’écoute d’une allégorie pourra alors être considérable : l’émotion « coincée » va se remettre à circuler. Cependant, et c’est là le propre du conte thérapeutique : elle s’évacuera en douceur.
Restaurer l’estime de soi
Aider une personne à restaure son estime d’elle-même est l’une des actions infirmières les plus fréquentes et les plus importantes. Un conte peut grandement aider à cela. Un conte personnalisé est toujours reçu comme un cadeau précieux. J’ai entendu plusieurs fois les personne me dire : « vous avez pris tout ce temps pour écrire un histoire pour moi ?… » sous entendu : « c’est donc que j’ai une valeur à vos yeux ? … »
Muriel James et Doroty Longeward disent ceci : « Ecouter est l’un des plus beaux signes de reconnaissance que l’on puisse donner à autrui. Une personne que l’on a écoutée sait que ses idées, ses opinions et ses sentiments ont été compris »(in « Naître gagnant » Dunod).
Renforcer le lien thérapeutique
La qualité du lien entre le soignant et le patient est déterminante pour l’évolution de la thérapie. L’une des données essentielles qui fondent ce lien est que la personne puisse se sentir rejointe dans sa souffrance. Lorsqu’elle reconnaît son histoire dans le conte qui lui est lu, elle a la preuve qu’elle a été réellement entendue. Le moment de l’audition du conte est toujours un temps fort. Bien souvent il permet de sceller la confiance entre la personne soignée et l’aidant.
Comment construire des histoires thérapeutiques ?
La recherche du CMLO et des praticiens qui ont expérimenté la pratique du conte dans des contextes professionnels ont permis de mettre en lumière quelques pistes pour l’utilisation des contes en thérapie.
On passe ainsi de la création de contes thérapeutiques avec les soignés à l’adaptation et au contage traditionnel de contes pré-existants.
Afin de mettre en place des nouvelles histoires, il faut trouver une histoire fondée à la fois sur la fantasmatique et sur les approximations subjectives du soignant qui suppose que l’émotion du patient qui « coince est là » alors que le patient lui même ne sait pas formuler cette émotion. Étant cela assez ardu, il est donc souhaitable de créer un processus de co-construction qui permette aux patients, grace à l’intervention des soignants, d’arriver à exprimer les nœuds problématiques.
Il est donc impossible, voire déconseillé, d’appliquer des cadres fixes de création, l’intuition doit être interprété comme maître dans le processus. Quelque part, nous pouvons affirmer que la magie est encore présente dans les thérapie…
Certaines compétences peuvent cependant se révéler utiles pour créer ce genre d’outil :
– Bien que les histoires et les contes prennent toute leur valeur dans leur caractère orale, savoir écrire est une compétence qui peut être utile pour élaborer des outils thérapeutiques ;
– Avoir une aptitude à entendre l’autre dans sa problématique. (Capacité d’empathie du soignant, un art de percevoir le sentiment. Et faire confiance à son intuition)
– Il s’agit d’accueillir les images symboliques qui naissent avec la problématique exprimée par la personne et les mettre en mots.
Pour aller plus loin
Écoutez la conférence « Littérature orale et thérapie » par Marc Aubaret (2009, Alès)
Les récits de littérature orale proposent des synthèses des archétypes humains et, dans certains genres, des cartographies de nos inconscients. Riche d’une langue symbolique efficace, la littérature orale permet d’apporter, dans certaines pathologies, des outils pertinents. Au cours de cette conférence, nous verrons les façons dont les grandes écoles psychanalytiques ont envisagé la littérature orale tout au long de leurs histoires. Puis, à partir de cas concrets, nous éclairerons les diverses formes que prennent les thérapies impliquant la littérature orale pour finir sur les recherches actuellement en cours utilisant la littérature orale comme moteur de la thérapie.
Pour aller plus loin
Événements et formations en lien
Un monde sans merveilleux est un monde mort.
« Si durant toute sa vie l’homme devait s’en tenir au connu, rester limité au petit groupe de phénomènes qu’il sait, par éducation et atavisme, relier entre eux et constituer en un réseau de relations, ce filet purement utilitaire ne pourrait manquer de devenir un piège d’ennui, une prison sans désirs dans laquelle il serait condamné à pourrir enchaîné, entre le pain noir et l’eau croupie de la logique. »Michel Leiris, Le Merveilleux, Didier Duvillez Éditeur, 2000