Patrimoine
Dans son sens étymologique de 1150 le patrimoine signifie «ensemble de biens hérités du père» (Latin Patrimonium «bien de famille» et pater «père»). Mais en 1823, le terme évolue et prend le sens de «propriété transmise par les ancêtres» (le patrimoine de l’humanité). Donc de l’ensemble des richesses culturelles accumulées par une nation, une région, une ville et qui sont valorisées par la société.
L’histoire du mot « patrimoine », si elle semble s’éclairer avec l’idée d’une fabrication des pères (Legendre 2011), ne permet pas de formuler une origine sémantique qui serait déterminante face à des usages idéologiques.
Le mot patrimoine demeure équivoque dans la gestion des biens publics. Il suppose la présence de certaines finalités, il appelle des formes de légitimité, alors que toute gestion des biens publics pourrait s’accomplir selon une perspective technocratique qui semblerait se suffire à elle-même.
Le patrimoine existe-t-il en soi ?
S’il n’est qu’un acquis dans un processus de cumulation et de transmission, il devient une valeur a priori, il se détermine comme origine même du lien entre valeur économique et valeur morale.
S’il est une invention, il vient fonder une illusion fondamentale et nécessaire à la reproduction des sociétés ; il se donne pour un leurre ontologique.
Sa relativité accroît son rôle de méta-référence : toute personne peut déterminer « sa réalité patrimoniale » même si le choix de telle instance symbolique n’est lui-même qu’une illusion. Si le patrimoine est une affaire communautaire, son interprétation reste soumise à une dynamique des intérêts privés, et un tel effet d’individualisme ne correspond qu’au constat d’une certaine destruction des richesses collectives.
Le patrimoine matériel fait partie des paysages de notre quotidien et tout ce qui fait mémoire pour chacun d’entre nous pourrait être considéré comme patrimonial. Mais certains éléments pourtant importants pour beaucoup d’entre nous se voient rasés, balayés par une décision politique. Le patrimoine est donc sélectionné. Mais alors qui sélectionne, et sur quel critère ? pour quelles intentions, quels projets ?
C’est en posant cette question que l’on s’aperçoit que le patrimoine est avant tout culturel et politique et que sa construction, sa fabrication, n’est pas obligatoirement dénuée d’intention manipulatoire.
En fait la nature elle même est une construction, une invention culturelle récente, de même que la conservation du passé qui peut être daté de la Révolution. Mais cette réalité et bien souvent présentée comme une évidence transhistorique. Les discours sur le patrimoine sont souvent saturés de stéréotypes. Discours moralisateurs ou culpabilisateurs. Tout cela converge vers une vision naturalisée du patrimoine et joue sur un consensus facile à obtenir. Bien entendu, il s’agit de fausses évidences qui masquent l’essence, énigmatique, du patrimoine.