Folklore
L’étude du folklore peut être à la fois considéré comme l’ancêtre de l’ethnologie qui travaillera sur la littérature orale ou une branche de cette discipline, qui se concentre spécialement sur les traditions populaires. L’œuvre des folkloristes a largement contribué à mettre en littérature les récits oraux.
Le terme « folklore » fut employé pour la première fois dans l’Athenoeum du 22 Aout 1846, par un certain M.W.Thoms.
Le mot « Folk-Lore » est traduit, dans la vingt-neuvième édition du « Dictionnaire français » de Spiers (1884), par « légendes populaires ». On ne retrouve pas cette occurrence dans des dictionnaires antérieurs à 1860. C’est à vrai dire un ancien terme jadis tombé en désuétude, qui signifie littéralement « savoir populaire », (de folk, peuple, et lore, science, savoir).
Ce mot a eu un succès important au XIX° et XX° siècles, puis il est devenu parfois péjoratif et synonyme de « dépassé » dans le langage courant. Il reste toutefois nominatif d’une discipline des sciences humaines qui a beaucoup apporté à la littérature orale.
De ce qu’on lit sur la revue Imago Mundi (publiée en sitographie), l’étude du folklore serait donc, comme le disait l’un des auteurs qui ont porté dans ces études la plus grande lucidité d’esprit et la critique la plus rigoureuse, moins une science à part qu’une méthode de recherches, consistant à considérer l’objet à expliquer (croyances, institutions, usages) :
« non dans la cristallisation complète, mais à ses débuts, à le suivre à tous les degrés de son développement, à tenir compte de toutes les influences qu’il peut avoir subies et en même temps à mettre en parallèle toutes les formations analogues qui ont pu se produire […]. Il faut chercher, souvent dans divers pays et en divers peuples, les anneaux épars de la chaîne qu’on veut reconstituer […]. Le naturaliste ne fait pas autrement lorsque, voulant restituer une espèce éteinte, un animal d’une époque préhistorique, il en cherche les fragments épars sur un vaste continent. Faute d’un spécimen conservé complet, il est nécessaire de placer ces fragments les uns près des autres pour en induire le plan de l’être disparu. Telle est, à notre avis, la méthode des études du folklore. Mais elle s’applique à un domaine où la masse des matériaux est immense, car il s’agit de l’homme, de tout l’homme! » (H. Gaidoz, dans Mélusine, V, 34.)
Ces quelques lignes montrent quelles difficultés présentent et quelle préparation supposent les études de folklore quand elles ne se bornent pas à la constatation des faits; elles exigent des connaissances très variées (en histoire, en linguistique, en ethnographie) et surtout une grande rigueur de méthode et de critique; le folklore scientifiquement pratiqué est donc tout autre chose qu’une branche de la littérature facile. (A. Jeanroy).
Les folkloristes français peuvent être considérés comme les ancêtres des futurs ethnologues qui travailleront sur la littérature orale; ils ont largement contribué à mettre en littérature les récits oraux.
Si dans d’autres contextes européens comme l’Italie ou l’Allemagne, la centralité de l’étude des traditions populaires a toujours été irréfutable dans le développement de l’ethnologie,
Dans le panorama universitaire italien, on parle par exemple de « demologia« , branche de l’anthropologie culturelle qui s’intéresse au folklore et aux traditions
populaires, brillamment étudiée par Ernesto De Martino et Alberto Cirese. Bien qu’un certain courant d’études socio-anthropologiques (dont Arnold van Gennep) se soit consacré, en France, à l’enquête des traditions populaires, ces travaux ont traditionnellement été considérés comme des ouvrages de « ethnologie de la France » (Garbolino 2016), ou avant que la discipline ne se développe académiquement, comme relevant du Folklore.
Avec les folkloristes commencera un nouveau courant, qui se soucie de constituer un patrimoine des contes populaires. Des intellectuels européens, inspirés par les images véhiculées par le romantisme sur un monde populaire, perçu comme le dernier bastion d’un mode de vie ancestral et sage, vont se lancer au XIX° et au XX° Siècle dans une nouvelle collecte de contes, de chants, de danses… Ils créent aussi une image positive du patrimoine populaire auparavant décrié. Il est intéressant de constater qu’en Hollande, en France et en Espagne, les comportements sont similaires. Dans ces trois pays sont créées des sociétés savantes et des revues destinées à sauvegarder et valoriser le patrimoine populaire.
En France, vers le XVIII° et XIX° siècles, ce sont le plus souvent les femmes du peuple, travaillant come domestiques, qui établissent le passage entre les contes et les enfants des familles bourgeoises. Ce n’est que dans le dernier quart du XIX° siècle que ces rencontres aboutissent en collectes et en publications. Selon Nicole Belmont, c’est lorsque l’école anthropologique anglaise propose une théorie scientifique que les collectes s’organisent et se multiplient à l’échelle nationale[1] La spécificité du peuple dans la pensée des romantiques et des régionalistes français était le résultat d’une affinité avec la nature. La diversité culturelle semblait naturelle parce que les traits fondamentaux de l’identité étaient mis en relation avec la géographie, c’est à dire un terroir national. La garantie de la pérennité d’une culture nationale reposait, pour ces différents nationalismes s’associant avec les services du folklore ou de la Volksunde (Mouvement folkloriste allemand), dans le rapprochement avec la nature et aves la terre. Dans sa version dévalorisante, la tradition des paysans procédait à la même explication de leurs caractères par la proximité avec la terre. Elle était aussi synonyme d’incapacité à changer, d’engluement dans la routine et de refus de tout progrès. (P42 Voir suite si nécessaire).
Les folkloristes européens du XIX° et du début de XX° siècle ont recueilli une multitude de contes qui appartenaient à une tradition orale référant à un monde rural ayant déjà subi l’influence d’une tradition écrite (scolarisation, littérature de colportage…). Cette dernière peut elle-même avoir été inspirée par la tradition orale à une époque plus ancienne. Les interférences entre tradition orale et littérature en Europe sont telles qu’il est pas aisé de savoir, d’un conte recueilli dans la « tradition orale » et du même conte attesté dans la littérature, celui qui a influencé l’autre[2] le courant folkloriste eut un grand impact sur la perception et la revalorisation de la culture populaire. Le terme de folklore étant, par ailleurs, un terme récent créé par le britannique J.W. Thomas Ce mouvement était donc basé sur la culture populaire qu’il définissait à partir de la notion de tradition. C’est ainsi que les collecteurs se nommèrent traditionalistes. Cette notion, qu’elle soit utilisée dans une perspective nationaliste ou scientifique, permettait déjà (en une pratique résolument actuelle) d’expliquer des faits contemporains par le passé en favorisant une construction rétrospective des fondations mythiques.[3]
Le passage des lumières a romantisme s’est donc déroulé par l’abandon progressif de la critique rationaliste ou des tentatives d’explications des superstitions populaires, typiques de la distanciation au profit d’une valorisation de la tradition populaire. Cette évolution des conceptions théoriques s’accompagna et d’une certaine manière, fut préparée par le développement tout au long de la seconde moitié du XVIII° siècle, des collectes érudites s’attachant avant tout à satisfaire la curiosité d’une élite bourgeoise cultivée. Les traditions populaires perdaient leur connotation d’infériorité au profit de la neutralité qui ouvrit le chemin à leur valorisation par le nationalisme romantique. Ce mouvement des collecteurs n’était pas d’inspiration nationaliste et la culture populaire n’y était pas proposée en tant que représentation de la culture nationale.
Dans cette dynamique, le recours à la tradition était un mode d’explication des principales différences culturelle c’est à dire un concept adapté à une théorie évolutionniste sous-jacente. A l’expérience vécue et subjective de la nation ou de la région, correspondaient ainsi, dans l’esprit des folkloristes engagés, des faits tangibles se prêtant au recueil comme autant d’éléments naturels et positifs. Les efforts pour préserver le passé demandent nécessairement une représentation de ce qu’il était, soulignant ainsi les différences entre le présent et le passé. Le traditionalisme suppose donc une prise de conscience de ce serait la tradition qui n’appartiendrait qu’avec une certaine distance vis-à-vis d’elle.
Cette analyse permet de souligner les liens entre notion de tradition et celles de représentation légitimes. La production de connaissances sur le peuple entrait aussi en lien avec les visées politiques de restauration d’un ordre national[4]Les régime fascistes récupérèrent les thèmes folkloristes comme façade idéologique à des politiques ne rompant pourtant pas avec l’essor industriel qui transformait la paysannerie. Les connaissances élaborée par les folkloristes ont aussi servi de support à la mise en place d’activités culturelles par la publication ou par la promotion des reconstitutions folkloristes.
[1] « Cette théorie postule que les contes représentent les vestiges d’un état culturel disparu (…) Andrew Lang (1844 – 1912) fut le propagateur zélé de cette théorie qu’il appliqua au folklore européen. Lui aussi rappelle que son goût des contes et des chants populaires lui était venu des récits entendus dans son enfance. Il applique à ces productions l’idée d’E.B Tylor. « Ce qui reste des édifices élevés avec tant d’habileté et de force que les faiseurs de mythes ne substituent plus aujourd’hui que dans des contes de nourrice, dans de vulgaires superstitions, dans de vieilles légendes qui se meurent (…). » L’école anthropologique anglaise a fourni ainsi à la France en particulier, un cadre théorique apte à objectiver les émotions sucitées par la résurgence des mémoires de l’enfance et à les dériver vers une activité socialement reconnue : la collecte et l’étude de contes (Nicole Belmont Poétique du conte.).
[2] Jack Goody souligne : « L’impact de l’écrit sur les systèmes culturels ne fut, bien sur, pas partout le même. Cela dépendait des circonstances sociales et variait avec le type de système employé à propos de la représentation visuelle du langage. Ces systèmes ont développé diverses représentations visuelles ou graphiques (…). Un des problèmes pour les folkloristes anthropologistes et nationalistes du XIX° siècle fut la difficulté, l’échec même de trouver une véritable tradition orale dans une société avec écriture ou, en tout cas, avec une importante littérature (The interface between the written and the oral » Cambridge 1987).
[3] Paul Sébillot, fondateur en 1886 de la « Société des traditions populaires » et pus tard ses continuateurs tels que Pierre Saintyves avaient pour but de donner au folklore le statut de discipline scientifique. Ils utilisaient la notion de tradition comme mode de reconnaissance de ce qu’était la culture des dominés – leur objet de recherche – et par conséquent la tradition se définissait principalement par sa distinction d’avec la culture légitime. Il semblait par exemple utile à P. Sébillot de préciser que la tradition qui désignait ce qui se transmettait oralement excluait de son domaine ce qui était transmis à l’école. De même pour P. Saintyves, le Folklore c’est « la reconnaissance, transmise par la tradition, de la culture du plus grand nombre, par opposition à la culture des gens instruits ». La définition que propos P. Rivet en 1938, lors du premier congrès international de Folklore, contient la même orientation archaïsante : l’objet du Folklore serait « tout ce qui survit, dans une société évoluée, de coutumes, d’habitudes de vie, de traditions, de croyances appartenant à un stade antérieur de civilisation » (Denis Blot, L’invention des traditionalismes, études anthropologique du développement des utilisations contemporaines de la notion de tradition. Contexte général et cas de la Picardie, thèse de doctorat de sociologie sous la direction de M. Jean Copans, université de Picardie, Amiens, 2002 )
[4] « C’est donc sans rupture que les études folkloristes nationalistes et régionalistes devinrent les sciences des régimes national socialiste en Allemagne et pétainiste en France, et qu’elles prospérèrent durant ces périodes grâce à de puissant soutiens étatiques. Le positionnement des chercheurs – engagement dans la résistance pour certains, collaboration zélée au projet de Vichy pour d’autres et ambiguïté et tiraillement entre des convictions et la poursuite de projets scientifiques pour la plupart – tend à prouver qu’il n’exista pas de déterminations de leurs prises de positions et des actes consécutifs à celles-ci en fonction des options de recherches poursuivies. Des folkloristes comme des volkskunders, dont les œuvres contiennent les conceptions qui furent au cœur de l’idéologie nationaliste, résistèrent sans hésitation à ces régimes, et il serait totalement déplacé de voir derrière chaque folkloriste un fasciste en puissance » (Denis Blot ibid. )