Conte Kurde. Le témoignage des deux perdrix

Un marchand, son chargement sur le dos, gravissait un chemin dans les montagnes du Moyen-Orient. Soudain, de derrière un rocher, surgit un brigand qui lui met un couteau sous la gorge « Donnes-moi tout » Le marchand, sans hésiter, lui donne son chargement : des colifichets, quelques victuailles. Il va pour repartir lorsque le bandit brandit son couteau « Tu ne m’as pas tout donné : tes vêtements ! » Le marchand en tremblant doit se déshabiller, et tout transi dit « Laisse-moi repartir, laisse-moi au moins la vie » Mais le bandit ricane « Tu crois que tu vas repartir comme çà ? Pour me dénoncer dans le premier village ? Fais tes adieux au monde ! » Et le bandit remet le couteau sous la gorge du marchand.

Le pauvre homme s’effondre, se met à pleurer, à prier, à invoquer qui il peut, puis voyant au-dessus de lui deux oiseaux perchés sur une branche, il s’adresse à eux « Ô Perdrix, qui du sommet de l’arbre voyez l’injustice qui me frappe. Ô oiseaux libres, allez dire la vérité, allez dénoncer mon assassin »

A ce moment le bandit s’exaspère « Tu es trop naïf toi, les perdrix çà se tait, et toi tu vas te taire aussi» et il tranche la gorge du marchand, puis jette son corps dans un ravin.

Les deux perdrix s’envolèrent.

C’est ainsi que l’assassin continua son chemin, avec les habits et les denrées du commerçant qu’il avait tué. Quelques jours plus tard, toujours dans les habits du marchand, il arriva dans une ville grande et belle, où un émir exerçait le pouvoir. Or cet émir avait l’habitude d’inviter à sa table les voyageurs, pour savoir ce qui se passait ailleurs. Ce jour-là, l’invité se trouvait être le bandit déguisé en marchand.

La visite était agréable et se déroulait dans la sérénité. Au milieu du repas, on apporta sur la table un plateau doré contenant deux perdrix rôties. En voyant ces petits oiseaux rôtis, l’invité ricane. L’hôte interloqué demande « Quel est ce rire, d’où vient-il ? » L’invité rit de plus belle « En voilà deux qui ne parleront plus » « Je ne comprends pas » dit l’émir. « C’est une aventure de voyage : un bonhomme que j’ai rencontré, naïf comme ce n’est pas permis » « Raconte donc » demande l’émir. « Oh c’est simplement un marchand qui suppliait des perdrix de lui rendre justice » « Ce marchand était donc en grande détresse, raconte donc ».

Et de proche en proche, de question anodine en réponse de plus en plus précise, l’homme finit par raconter comment il avait volé et tué un marchand dans la montagne. Il finit son récit en disant « Quelle naïveté ce marchand, invoquer des perdrix ! ».

L’émir était pâle « Gardes, saisissez-vous de cet homme, c’est un assassin, il vient de se dénoncer lui-même sans qu’on lui ait vraiment demandé. Tuez-le selon la loi du talion. La vérité fait parfois de grands détours avant d’émerger au grand jour : même rôties, ces perdrix ont bien fait leur travail ! ».

 

Notes :  Conte racontée par Sylvie Ferrandier


Source : D’après : « Le témoignage des perdrix » dans Contes étranges et merveilleux (contes arabes et moyen-orientaux), pp 168-169