Conte occitan • Les aventures du chat et de l’agneau
Ce coquin de chat, en avait-il dérobé du boudin à la saison du carnaval! Vers Pâques, à l’exemple des autres paroissiens, il voulut aller à confesse, mais, Dieu-vivant! le curé se refusa à l’absoudre. Les échines de porc, les foies d’oies et les ailes de poulet s’étaient engloutis dans sa panse.
Chacun se plaignait de ce démon ce chat… et surtout la gouvernante qui mit M. le curé au courant de ces méfaits énormes. Dès que celui-ci aperçut Minet à genoux devant le guichet du confessionnal, il ne lui demanda pas combien la semaine comptait de jours, mais vlan! sans même écouter ses excuses il l’envoya quérir son pardon à Rome. Et l’on sait qu’il ne mandait à Rome que les pécheurs pour lesquels il avait déjà épuisé ses atermoiements.
Le chat se mit en route.
A travers champs, il rencontra un agnelet qui paissait et, comme s’il désirait lier connaissance :
– Que fais-tu là, lui dit-il ?
– Maître chat, j’y donne un coup de dent.
– Tu es chez toi ?
– Non, maître, mais que vous importe ?
-Rien, si tu veux, malgré ça je te promets que si tu vas à confesse, le curé du village se déclarera incompétent, il t’enverra t’agenouiller devant le Pape de Rome, si tu désires être pardonné.
– Vous me prenez donc pour un mauvais chrétien ?… Vous allez à Rome vous ?
– Eh, comme tu le vois.
– Je vous accompagne.
Le chat avait passé un sabre à sa ceinture et une besace autour de son cou. La besace contenait les provisions de bouche. Ils partirent. Un peu plus loin ils rencontrèrent un loup qui achevait de dévorer la chair et les os collés à une peau de chèvre. Diu-biboste ! il était coupable aussi celui-là.
– Que fais-tu donc là, seigneur Loup, dit le chat ?
– J’exerce mon métier de tanneur.
– Tu l’avais acheté, cette peau de chèvre?
– Et avec quels deniers, mon brave ! Dans la chambre du loup, s’il n’y a pas de viande, il y a des os, mais on y chercherait en vain des sous et des liards.
– Pour sûr, si tu vas déclarer tes fautes, on t’enverra comme nous deux à Rome.
Tous les trois parlèrent encore et finalement ils se décidèrent à continuer le voyage de concert.
Le chat, sur la route, tenait la tête de la caravane. après lui venait l’agneau et enfin le loup. Le chat était le plus ingambe, il faisait tournoyer son sac à provisions d’une main et s’appuyait de l’autre sur le sabre, tel un petit-maître barbu sur sa canne. Les boyaux de la chèvre ne l’avaient-il pas suffisamment repu, ou bien le désir de manger le tourmentait-il ? Je ne sais, mais, de temps en temps, le loup ne pouvait s’empêcher d’y aller d’un coup de canine ou d’un coup de patte contre les mollets de l’agneau. Et l’agneau de bêler.
Sur un signe du chat, le loup promettait d’être sage. Lorsque le sabre était levé sur lui, le loup baissait le museau, mais dès que le chat avait tourné le dos :
– Seigneur chat, criait l’agnelet
– Quoi encore ?
– Le loup me mord !
– O loup se-m tire et sabrilhot que-t coupe et cot ! (Loup, si je dégaine mon petit sabre, je te tranche la tête!)
Le loup insista si bien que Minet ne le lâcha pas d’un cran et de son petit sabre, il le décapita. Et, enveloppant la tête dans sa besace, avec l’aide de l’agneau, il lança d’un coup d’épaule la bête féroce dans le Gave. Quelque peu soulagés d’une si fâcheuse rencontre, nos deux amis allongèrent le pas car la nuit approchait. Comme ils entraient dans une forêt, l’obscurité les enveloppa. Ils s’ennuyaient ferme. Quel sentier choisir ? On ne distinguait pas un chêne d’un noisetier. Finalement, le chat grimpa sur un bouleau et aperçut une lumière tremblotante. Elle indiquait une habitation, peut-être même un hospice de voyageurs. Ils s’engagèrent dans cette direction et se trouvèrent devant un château magnifique. Le chat alla aux écoutes. Ah ! mes amis, ils étaient bien tombés nos pèlerins, c’était la résidence des loups. Assurément ils auraient passé outre sans les saluer au passage; mais, hélas ! leur ventre sonnait creux. Les victuailles de la besace avaient disparu; à deux, la nourriture d’un seul ne dure pas indéfiniment, surtout lorsque l’un des compères s’appelle Minet.
– Nous sommes propres, fit le chat à l’agneau, voyons comment nous traverserons ce mauvais pas !
Ils frappèrent.
Un loup – le portier du château sans doute, – qui s’éclairait avec une chandelle de résine, vint ouvrir.
– Que désirez vous ?
– Un abri. Colombet et moi nous sommes de pauvres pèlerins de Rome égarés dans le bois, deux pauvres misérables, des mendiants honnêtes. Seigneur Loup, si cela vous agrée, nous coucherons dans l’étable avec pour paillasse deux gerbes de seigle et une pierre pour traversin.
– Entrez i dit sèchement le loup.
Nos voyageurs étaient, ma foi ! très polis. Leurs jambes grêles vacillaient comme s’ils avaient bu quelques litres de trop.
Le capitaine du château ordonna qu’on les fit passer dans la chambre où logeaient d’ordinaire les pèlerins de Compostelle, de Rome et des Saints-Lieux. Il leur fit remettre sous la cheminée quelques bûches de bois mort et sur la table un pain de blé noir et un sceau d’eau.
Ils purent aiguiser à l’aise leurs dents.
Comme ils mangeaient, les loups venaient les uns après les autres les épier. Ils voulaient faire ample connaissance avec la fourrure de ces pèlerins à quatre pattes. Dans l’obscurité le chat observait leurs grands gestes et leurs coups de tête significatifs.
Et comme ils approchaient, Minet monta sur la table et leur fit cette harangue :
Je ne vous crains pas, Dieu-vivant! lors même que je serai chez vous. Dans ma vie j’en ai écorché pas mal de loups, plus de trente, s’il vous plaît. Si vous approchez je ne réponds de rien.
Notre chat va s’abriter sous le manteau de la cheminée et cache le sac contenant la tête de loup tué le matin. Il retire celle-ci de son enveloppe et la montrant il s’écrit :
» Une tête de loup, la voilà ! »
Il la cache et une seconde fois la présente aux loups ébahis :
» Deux têtes de loup, trois têtes de loup… » et ainsi de suite jusqu’au trente-et-unième.
L’agneau ne pouvait contenir son rire prêt à éclater.
Un à un les loups s’enfuirent comme ils étaient venus et lorsque tout parut paisible, l’agneau et le chat allèrent se coucher.
La fatigue ferma leurs paupières.
Mais les loups craignaient toujours que le chat n’en fit une des siennes à la faveur des ténèbres. Le sabre fatidique et si habile à trancher les têtes de loups traversaient leurs rêves.
L’agneau qui vers minuit rêvait à son tour qu’un loup dévorait sa chair blanche, fit un soubresaut, tomba du lit et retomba sur le parquet.
« Nous y sommes, crièrent les loups apeurés » , et ils déguerpirent sur l’heure.
Au point du jour les deux amis se virent les maîtres du château. Ils parcoururent les dépendances de leur domaine. Les armoires, la basse cour, les étables étaient gorgées de provisions et ils prolongèrent leur déjeuner.
Pour faire la digestion, le chat étendit ses reins sur le balcon, bien au soleil. A côté, l’agneau ne le perdait pas des yeux.
Les loups qui regrettaient leur paisible demeure, humaient le vent dans le voisinage, et se rapprochaient en longeant des souches d’arbres et en s’abritant dans les ravins.
Précisément le chat faisait sa toilette. Léchant sa griffe il en frottait ses yeux, ses moustaches et se oreilles, comme les chats ont l’habitude de procéder lorsque la pluie est imminente. Les loups supposèrent qu’il les menaçait de son sabre et allait les décapiter. Ça marchait toujours très mal pour eux, aussi s’enfuirent-ils loin, très loin et on ne les revit plus.
Le chat et l’agneau, se voyant seuls, fermèrent le château à clef et s’acheminèrent vers Rome.
Le Saint-Père les reçut comme de vieux amis. Il racontèrent brièvement l’objet de leur visite et reçurent l’absolution. Les voilà installés dans le château des Loups. Tout le temps qu’ils purent broyer des tendons et des osselets entre la langue et le palais, tout marcha comme des roulettes. Mais lorsque l’agneau eut rasé l’herbe des mottes d’alentour, – il n’osait s’aventurer au loin si le chat ne l’accompagnait ! – lorsque Minet eut croqué toutes les souris, lorsqu’il ne resta plus ni miettes ni brins d’herbe :
» Ceci est un pays misérable ! » s’écria le chat. Et il mit le feu aux quatre coins du château.
Puis ils revinrent dans leur village natal – qui est aussi le mien – me conter leurs aventures, sinon je ne pourrais vous les narrer à mon tour et personne n’en aurait rien su.
Note : Conté par Trey, maçon à Agos, canton d’Argelès, Hautes Pyrénées, en 1897. Publié dans Mélusine, revue de Mythologie, Littérature populaire, Traditions et usages, 1900-1901, p.5. Sous le titre « Contes d’animaux du Lavedan », 19 contes sont publiés dans ce numéro, choisis par Michel Camélat (1871-1962), auteur de langue gasconne. Consultable sur le site de la BNF Gallica.
Le Lavedan, lo Lavedan en occitan, est une région naturelle des Pyrénées, située dans le département des Hautes Pyrénées en Occitanie, dite aussi » vallées des Gaves « , en référence aux 7 vallées du Lavedan, du bassin du gave de Pau.
N’hésitez pas a prendre contact avec le CMLO pour toute question relative aux textes publiés.
Classifications
ATU 908