Cet extrait de l’épopée orale des Peuls du Macina (Mali), chantée par le griot Maabal Samburu, retrace des épisodes des conflits entre les chefferies des Peuls et le royaume bambara de Ségou qui, par des guerres de conquêtes, au début du XIXè siècle, avait reculé les limites du royaume jusqu’à les faire coïncider à peu près avec celle de l’ancien Mali. Ce royaume bambara avait soumis entre autres, les chefferies des Peuls, encore semi-nomades.
Silamaka, chef peul (Ardo) et héros de l’épopée peule, se rebelle contre Ségou et son souverain, Da Monzon. Malgré l’inégalité du combat, il le provoque et l’engage avec un courage exemplaire, une bravoure surhumaine jusqu’à perdre la guerre et la vie. Les griots tant bambaras que peuls ont chanté le récit épique de Da Monzon, souverain de Ségou et de Silamaka, en rébellion contre Ségou, chacun dans leur langue, dans leur version du conflit, et l’admiration de leur héros.
La naissance de Silamaka et l’histoire du taon. 1er épisode
L’Ardo Hammadi avait un captif de case, ce captif s’appelait Baba.
Un jour, à Kekei, après un bon déjeuner, l’Ardo Hammadi s’assit sur son estrade, Baba siégeait à ses côtés sur une natte ; le chef lui dit : « Je voudrais une femme dans le Macina », il se mit donc à chercher une épouse et trouva une jeune fille nommée Aïssa dont la main lui fut bientôt accordée.
Alors Baba dit à Hammadi Ardo : « Puisque tu as trouvé une fille noble il me faut à mon tour chercher une captive. » Baba en découvrit une, mais si belle qu’elle n’était vraiment captive que de nom ; elle s’appelait Tala.
Hammadi et Baba se marièrent le même jour, les deux femmes conçurent en même temps et le même jour elles accouchèrent de deux garçons, le fils du noble fut nommé Silamaka,le fils du captif fut nommé Poulorou.
*
Da Monzon était suzerain de l’Ardo Hammadi.
Il envoya un jour chercher le prix de l’hydromel, les percepteurs d’impôt étaient trois jeunes Bambara ; ils se rendirent auprès de Hammadi et lui dirent l’objet de leur visite. L’Ardo entra dans la case où il gardait ses cauris ; il vit la mère de son fils qui le faisait téter ; il appela Aïssa, elle déposa l’enfant sur une natte auprès des trois envoyés qui attendaient debout.
Le bébé avait alors exactement quarante jours. Un taon soudain s’appliqua sur son front et se mit à lui sucer le sang. Les trois messagers de Da Monzon regardaient ce bambin de quarante jours à peine qui ne daignait même pas lever les yeux.
Silamaka n’a pas remué,
il n’a pas cillé de l’œil,
il n’a pas pleuré
jusqu’à ce que le taon gavé de sang tomba,
alors le sang coula sur le visage de Silamaka.
Quand le père et la mère revinrent, ils remirent
aux envoyés une mesure d’or pour l’hydromel. Hammadi dit à sa femme : « Vois ce méchant enfant, un taon lui boit tout son sang
et il ne crie même pas pour nous avertir ! »
Et la mère de Silamaka écrasa l’insecte.
Les trois envoyés assistaient à cette scène.
Les trois envoyés rentrèrent à Ségou,
ils dirent à leur maître : « Nous avons peur,
l’enfant de Hammadi tel que nous l’avons vu
nous donnera sûrement du fil à retordre »,
et ils racontèrent l’histoire du taon.
Da Monzon convoqua ses quarante marabouts,
il leur ordonna de consulter les oracles :
« Qu’est-ce que l’avenir réserve au trône de Ségou ? »
Les voyants musulmans et animistes procédèrent à leurs pratiques magiques. Ils ne purent ni les uns ni les autres déterminer les mesures à prendre pour assurer à Da Monzon la possession perpétuelle du Macina. Après leur retraite ils dirent à Da Monzon :
« Un terrible enfant naîtra cette année, s’il ne l’est déjà. Il naîtra sous une étoile beaucoup plus forte que l’étoile de la dynastie de Ségou.
Il est par rapport à vous ce que l’air est à l’eau,
ce que le fer est à la pierre, ce que la mort est au souci. Pour venir à bout de cet enfant qui sera doublé
d’un serviteur aussi brave et invulnérable,
Grand Monarque, il faut trouver un œuf pondu
par un coq noir sans nulle plume blanche.
Cet œuf sera couvé par un canard sauvage,
il en sortira un lézard au lieu d’un poussin.
Dans l’estomac du lézard il y aura trois cailloux rouges, ce sont ces trois cailloux qui tirés à bout portant
sur la poitrine de l’enfant le tueront tout net.
Mais le tireur mourra en même temps que sa victime. »
Da Monzon s’exclama : « Autant dire
que le calamiteux vivra bel et bien ! »
Le grand griot de la Couronne avança :
« Maître des Eaux, les thèmes géomantiques sont parfois bien nuageux
et les oreilles des voyants mal curées,
peut-être qu’un autre y verra plus clair.
Tant que le vent souffle, la température est variable. »
« Merci grand griot, répondit Da Monzon,
mais il importe de se tenir sur ses gardes
car ce petit rouget qui résiste à la piqûre d’un taon, alors que ce dernier fait ruer un taureau,
serait bien capable quand il aura grandi
de réduire en miettes ma royale estrade ! »
Da Monzon donna beaucoup d’or et de cauris
aux envoûteurs noueurs de cordes enchantées.
Mais aucun sortilège bambara ne vint à bout
de Silamaka ni de son captif Poulorou.
Alors Da comprit qu’à l’horizon du Macina montait un noir nuage qui menaçait
le trône du Maître des Eaux de Ségou.
A suivre les autres épisodes en consultant le texte dans la Revue L’Homme, 1968